À l’occasion des cinq ans de « Splann ! », fêtés le 28 juin 2025 à Châteaulin, plusieurs journalistes – Inès Léraud, Morgan Large, Nathalie Barbe, Marianne Kerfriden et Catherine Le Gall – se sont réunies pour explorer ce que signifie enquêter en tant que femme.
Les intervenantes racontent un quotidien marqué par des contraintes liées aux rapports de pouvoir masculins dans le journalisme et dans les milieux qu’elles couvrent. Être mère, par exemple, peut invisibiliser, limiter la disponibilité et amplifier le doute sur leurs compétences. Être une femme peut faciliter l’accès à certaines sources, mais aussi susciter violences, menaces et campagnes de dénigrement, comme l’ont vécues Inès Léraud et Morgan Large après leurs enquêtes sur l’agro-industrie en Bretagne.
L’expérience des participantes révèle aussi l’importance de la légitimité sociale. Certaines doivent négocier leur place dans des milieux agricoles ou industriels, jouer de leur apparence ou de leur empathie pour faire parler les interlocuteurs.
Plusieurs journalistes racontent comment leurs enquêtes ou celles de consœurs ont été reprises, exploitées ou signées par des confrères, souvent parisiens, tandis qu’elles étaient reléguées au rôle de « fixeuses », y compris en France. Cette invisibilisation est d’autant plus lourde que celles qui vivent sur le terrain restent ensuite seules face aux représailles.
À cette discrimination de genre s’ajoute une autre ligne de fracture : celle du territoire. Quitter Paris, travailler depuis Nantes, c’est souvent être renvoyée à des sujets « locaux », perçus comme mineurs, même lorsque les enquêtes ont une portée nationale ou internationale. Pour plusieurs intervenantes, l’éloignement géographique pèse parfois plus lourd que le fait d’être une femme.
Face à ces difficultés, la table ronde met en avant des dynamiques collectives essentielles : collectifs informels de journalistes enquêtant sur l’agriculture, syndicats comme la Gaard pour les réalisatrices de documentaires, et surtout l’existence de médias régionaux indépendants comme « Splann ! ».
Avoir une rédaction ancrée localement, solidaire, capable d’assumer les risques juridiques et humains de l’investigation change profondément l’expérience du métier. C’est ce qu’a connu Inès Léraud lors de la plainte en diffamation déposée par le président d’Inaporc Philippe Bizien.
Malgré les obstacles, un constat d’espoir émerge. Les intervenantes observent une féminisation des rédactions en chef, une reconnaissance croissante des enjeux agricoles et écologiques ainsi qu’une montée en puissance de médias indépendants financés par le public. Ces expériences ouvrent la voie à de nouvelles générations de journalistes pour préparer la relève.
🎧 Prise de sons, montage et mixage : Violette Voldoire ; post-production : Pierre-Yves Bulteau ; mise en ligne : Sylvain Ernault.
🙏 Nous remercions le café-cabaret Run ar Puñs, à Châteaulin, pour son accueil chaleureux ainsi que le public venu nombreux.
