Patrice Salaün a reçu le journaliste Kristen Falc’hon, de « Splann ! », ainsi que Gustave, Bruno et Gaëlle, membres de l’Assemblée RSA France Travail de Brest, le jeudi 18 décembre 2025, dans son émission Pat Blabla sur la radio Transistoc’h.

L’invitation a été motivée par les entraves subies par une équipe de « Splann ! » lors de la présentation du bilan RSA (pour Revenu de solidarité active) par le président du conseil départemental du Finistère, Maël de Calan (ex-LR). L’événement, organisé le 3 décembre dans le magasin d’usine Armor-lux à Quimper, se tenait devant près de 200 chefs d’entreprise et représentants du monde de l’insertion.
Si cette atteinte à la liberté de la presse a donné lieu à une polémique relayée jusque dans la presse nationale, la mobilisation organisée le même soir, devant le site, par la CGT et des collectifs de chômeurs et de précaires est restée largement invisibilisée.
Des manifestants réprimés
Une soixantaine de manifestants ont pourtant fait face à un dispositif de maintien de l’ordre conséquent. En plus d’agents de sécurité auxquels la collectivité locale avait fait appel, des policiers de la compagnie départementale d’intervention étaient déployés. Comme le montrent des images mises en ligne par « Splann ! », les forces de l’ordre ont eu recours à des gaz lacrymogènes pour disperser un groupe qui occupait pacifiquement la chaussée.
« Ils essayent de réguler la contestation ou de faire en sorte qu’elle n’existe pas, témoigne Bruno, présent ce soir-là. Nous avions déjà tenté de lire un tract lors de la séance plénière du conseil départemental de juin dernier. Nous nous sommes rapidement fait barrer l’accès par des élus et, une fois dehors, nous avons été emmenés en garde à vue. Certains sont restés vingt-quatre heures. Il n’y a eu aucune suite judiciaire depuis. »
Selon les membres du collectif, ce contrôle de la parole critique s’étend jusqu’aux services du Département.
« Des assistantes sociales nous ont expliqué que, lors de son arrivée au pouvoir, Maël de Calan avait rappelé aux agents leurs droits, mais surtout leurs devoirs – en particulier le devoir de réserve, poursuit Bruno. Ils n’ont plus le droit de s’exprimer publiquement sur la politique départementale. Vu la faiblesse des luttes internes à l’administration, rien ne filtre. Pourtant, on observe une explosion des demandes d’urgence, au moins dans la métropole brestoise. »
« “Splann !” reçoit énormément d’alertes de bénéficiaires et de travailleurs sociaux qui décrivent une politique de contrôle d’une grande violence, confirme Kristen Falc’hon. Le fait que le Département nous ferme ses portes tout en les ouvrant à d’autres acteurs raconte aussi quelque chose. »
Une politique du chiffre assumée
En octobre, la journaliste Chloé Richard s’est penchée pour « Splann ! » sur les difficultés rencontrées par des petits paysans du Finistère, confrontés à des démarches administratives kafkaïennes. Mais ils sont loin d’être les seuls concernés.
« Les contrôles du Département n’existaient pas avant Maël de Calan, affirme Bruno. Une équipe dédiée a été créée pour radier environ 3 000 personnes par an. C’est massif, d’autant qu’un bénéficiaire peut également être contrôlé par la CAF et par France Travail. »
La majorité de droite au conseil départemental revendique d’ailleurs une baisse significative du nombre d’allocataires : de 18 000 en début de mandat à 13 500 fin 2025, soit une diminution de 25 %. L’objectif affiché est d’atteindre 13 000 bénéficiaires fin 2026.
« Avec une allocation mensuelle moyenne de 535 euros, cette diminution représente une économie brute de 29 millions d’euros par an et une économie nette de 18 millions d’euros », indique le communiqué diffusé à l’issue de la soirée du 3 décembre.
Sur le terrain, les effets de cette politique sont lourds, selon les personnes concernées.
« Les contrôleurs exigent de justifier la moindre dépense ou de produire des relevés bancaires, explique Gaëlle, également membre de l’Assemblée RSA France Travail de Brest. Les aides familiales doivent être déclarées. Cela n’a pas de fin et provoque un épuisement psychologique. Les gens se retrouvent isolés face aux méandres de l’administration, d’où la nécessité de s’organiser collectivement. »
« La France du travail » ou celle de l’exploitation ?
« Maël de Calan dit vouloir bâtir la “France du travail”. Nous, nous y voyons plutôt une France de l’exploitation, renchérit Bruno. L’objectif est que les gens renoncent à leurs droits pour accepter à peu près n’importe quel emploi. Il existe quatre secteurs où l’on peut cumuler RSA et salaire pendant trois mois avec un contrat de six mois : l’agroalimentaire, le BTP, le service à la personne et la restauration. Ce sont des secteurs aux conditions de travail difficiles et aux emplois peu qualifiés. »
Plus largement, le collectif estime que cette politique favorise l’atomisation des individus et les pousse vers l’auto-entrepreneuriat contraint. Elle s’inscrit, selon eux, dans une dynamique nationale, illustrée par le décret RSA actuellement attaqué devant le Conseil d’État par des syndicats et des associations.
Les discours de stigmatisation des plus pauvres contribueraient ainsi à rendre socialement acceptables ces mesures.
« On assiste à une offensive idéologique qui brandit la figure du “parasite”, dénonce Bruno. Or, taper sur les bénéficiaires du RSA c’est affaiblir les droits de tous les travailleurs. Il faudrait attaquer en haut plutôt que de descendre vers le bas. Sur les 1 200 radiations de l’an dernier, la moitié sont dues à une absence de réponse à un contrôle. »
Le collectif de précaires brestois conteste également la non-rétroactivité des versements pour les allocataires qui parviennent à se régulariser durant la période de suspension précédant leur radiation. Une bataille qu’il devrait mener en 2026.
Média indépendant financé par ses lectrices et ses lecteurs, « Splann ! » entend poursuivre ses enquêtes sur la politique RSA du conseil départemental du Finistère.
